Ligne claire, ligne sombre & autres aventures

vendredi 15 janvier 2021

Moebius et le bleu Maxfield Parrish

 C'est au hasard d'une chine (sur le net...) que j'ai acquis cette dédicace de Jean-Pierre Dionnet. Elle figure dans un exemplaire du volume 1 du recueil des couvertures (et éditos) de Métal Hurlant, paru à l'occasion des trente ans du magazine, en 2005 (un régal, soit dit en passant).


La couverture du recueil en question :


Qui reprend la couverture mythique du premier numéro de Métal Hurlant, paru en 1975 :


Dans ses Mémoires, Un pont sur les étoiles (Hors Collection, 2019), Dionnet, membre fondateur des Humanoïdes Associés et rédacteur en chef de Métal Hurlant, revient sur l'histoire de cette couverture : "On y voit un monstre assis sur un rocher. C'est une peinture de Moebius, qui a interprété un dessin réalisé par Maxfield Parrish dans une publicité pour les lampes Mazda, qui représentait une femme."

Maxfield Parrish (1870-1966) fut une star de l'illustration américaine de la première moitié du XXème siècle (Daybreak, qui date de 1922, est une oeuvre iconique). Il est devenu richissime grâce à des campagnes de publicité ou à ses calendriers pour Edison-Mazda, la célèbre compagnie d'éclairage.

Moebius lui-même a revendiqué le clin d'oeil, à sa manière ludique et cérébrale : "Ce dessin est inspiré d'une peinture de Maxfield Parrish, qui représentait une très belle femme assise sur un rocher. Je l'ai réalisé comme une blague, mais derrière cette blague il y a une idée intéressante. Peut-être que cette fille est vraiment un monstre et nous voyons maintenant sa vraie forme avec des seins plats et vides. Elle pleure, car elle sait qu'elle est seule et qu'elle est un monstre." (The art of Moebius, Epic Comics, 1989, traduction Christophe Compin, à qui on doit un travail remarquable sur les inspirations de Giraud/Moebius).

La peinture en question est sans doute Stars, qui date de 1913, et semble avoir inspiré Moebius pour la composition, le rocher et surtout le bleu, ce fameux bleu cobalt parfois rebaptisé "Parrish blue" tant il a rendu célèbre le peintre américain :


En évoquant une publicité Mazda dans sa dédicace, Dionnet pensait sans doute plutôt à cette peinture-là, qui reprend le même cadrage :


Ou à celle-ci pour le bleu ?



Dans ses Mémoires, Dionnet raconte comment Parrish parvenait à ce bleu d'outre-monde : "Le dessin de Moebius est très beau, mais son bleu n'est pas aussi pur que celui de son modèle. Parrish possédait une technique particulière dont Corben s'inspirera. Il commençait par tracer son trait avec un bleu très léger, sur lequel il posait des couleurs pures, comme un rose fuchsia, puis il recouvrait le tout d'un léger glacis et il ajoutait une couche de vert. Il obtenait ainsi des couleurs transparentes qui se superposaient avec un effet de lumière unique." Le fameux "glaze" Parrish...

Il faut bien l'avouer, on a eu un choc, quand, quarante ans après sa réalisation, on a découvert l'original lors d'une (étrange) vente aux enchères de bandes dessinées organisée par Artcurial à Hongkong. Il est parti à 29 000 euros (frais compris)  :

"Dessin insolé", précisait la notice...

Ou le fameux jaune Maxfield Parrish ?


1 commentaire:

  1. Je ne me rappelle plus avoir vu passer l’original (ou ce qu’il en reste, maudites Ecolines). Merci.

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