A force de les avoir vus en librairie, sur mes rayonnages et dans les publicités de Métal Hurlant, j'avais fini par ne plus vraiment "voir" les premiers albums des Humanoïdes Associés. Et pourtant, entre 1975 et 1979, en terme de maquette, de fabrication, d'objet, certains sont de véritables ovnis.
Un exemple, l'orwellien 1996 de Chantal Montellier, paru en 1978 :
Et sa belle quatrième de couverture :
Ce qui frappe, dans cette période 1975-1979, c'est la variété des formats, des matières, des reliures. On trouve des albums agrafés par deux agrafes sur le dos (John Watercolor et sa redingote qui tue, Polonius, etc), un dos rond ou presque (Exterminateur 17), des couvertures à rabats (Aunoa, de Buzzelli), des jaquettes (les albums-cadeaux type Tueur de Monde), des cartonnés classiques et même un album en mono-cahier, comme certains Tintin des années 60 (le Spirit cartonné).
Avec son dos agrafé :
Étrangement, le tout premier album des Humanoïdes Associés est une réédition, celle du Bandard fou (1974) de Moebius, paru quelques mois plus tôt aux Éditions du Fromage sous une forme très proche (seul le logo de l'éditeur change au 4ème plat). Dès le numéro 1 de Métal Hurlant, une publicité l'annonce :
Les albums suivants vont être conçus par Etienne Robial, sorte de directeur artistique informel des débuts de Métal Hurlant. Comme le rappelle Jean-Pierre Dionnet dans le très beau Alphabets + tracés + logotypes (Magnani, 2021), l'obsession de Robial était de rompre avec l'album cartonné franco-belge classique et de créer un objet unique à chaque fois. Ainsi pour Jason Muller (1975) d'Auclair, cette couverture type "pochoir" qui vaudra à Robial les félicitations du célèbre graphiste américain Milton Glaser :
Robial a également imaginé celle, très "sauvage", de Rolf (1975), de Corben ou encore celle de John Watercolor (on avait pu apercevoir le travail préparatoire lors de son exposition aux Arts Déco en 2023) :
Ou encore celle de Cauchemar blanc (1977), de Moebius, avec une typographie "lettre de rançon" (en haut à gauche, sur cette photo qui rassemble ses productions pour les Humanos), qui n'est pas sans rappeler l'esthétique punk que forgeait à la même époque Jamie Reid, le concepteur de la pochette de Never mind the bollocks des Sex Pistols, de l'autre côté de la Manche) :
On notera une sorte de "signature" subliminale de Robial sur nombre de ses couvertures : le fin filet adhésif rouge et blanc "scène de crime". On le retrouve par exemple sur ce superbe Spirit (et quel beau titre !) :
Si les premiers albums sont majoritairement brochés ou agrafés, les cartonnés apparaissent peu après et c'est tout naturellement Moebius (Arzach) et Druillet (La Nuit) qui ouvrent le bal en 1976. On trouve à cette période de très belles couvertures, comme celle du Dessinateur espion (1978) de Serge Clerc (ci-dessous une publicité parue dans Métal Hurlant n°35) :
J'avoue un petit faible pour la très étrange couverture d'Andy Gang (1979) de Chantal Montellier, avec sa belle typographie et ses personnages de dos :
Outre leur esthétique, l'autre caractéristique de ces albums principalement imprimés en Italie est hélas leur fragilité. Les quatrièmes de couverture sont parfois uniformément noires, un véritable cauchemar pour collectionneur, tant elles se rayent facilement (Blanche Épiphanie, la 2ème édition du Bandard Fou, etc). Les dos collés ne sont pas toujours très résistants (comme ceux des trois 30x30 Folles Images, pourtant censés être des albums de luxe). Certaines couvertures mates, dont quelques Spirit, résistent aussi mal aux lectures répétées (les pelliculées échappent plus facilement aux outrages du temps). Posséder un exemplaire immaculé de ces albums dont certains ont presque un demi-siècle constitue donc un plaisir presque sensuel pou le collectionneur.
Par définition, les cartonnés sont plus solides, comme cette magnifique édition originale de L'Homme est-il bon ? (1977), de Moebius, avec son étrange trait d'union en fin de ligne et se couleurs type "feutre" :
Symboliquement, dans les derniers mois de 1979, notamment sous l'impulsion d'Yves Chaland, les Humanoïdes Associés vont se doter de collections structurées et moins anarchiques (Métal Hurlant, Pied Jaloux, etc) et uniformiser leur production. Les années 80 s'annoncent...
Ah si, il y a bien encore un dernier ovni, en janvier 1980, justement : mon cher Art moderne, de Swarte : format un peu petit inhabituel, dos toilé noir (le seul des Humanos, me semble-t-il, si l'on excepte les tirages de tête de Chaland, hommage évident aux dos toilés rouge de la Collection du Lombard), plats aux cartonnages très épais, cahiers cousus et des pages de garde personnalisées avec un dessin de Swarte. Il est étrange, au passage, que les Humanos aient presque toujours proposé des pages de garde unies, souvent noires ou blanches, et n'aient pas utilisé cet espace pour "customizer" davantage leurs albums.