Ligne claire, ligne sombre & autres aventures

dimanche 21 février 2021

"Captivant", un album sous influence... communiste ?

Chaland et Cornillon, ces géniaux revisiteurs de la bande dessinée franco-belge, sont le plus souvent associés aux grandes heures des éditions Dupuis et Lombard (cette dernière donnera même son nom à l'un des héros les plus célèbres de Chaland). Une école belge bien-pensante et sous influence catholique, que nos deux amis s'amuseront à subvertir, toujours avec respect. A lui seul, Chaland publiera des variations autour de Morris (John Bravo), de Tillieux (Bob Memory), de Peyo et Sirius (Godefroid de Bouillon), de Franquin et Hubinon (Le Cimetière des éléphants).

Mais a-t-on remarqué un autre hommage discret qui barre la couverture du premier album du tandem, Captivant ?



Pour comprendre, il faut revenir au 1er juin 1945. Ce jour-là paraît le premier numéro de Vaillant, une publication qui prend la suite du Jeune Patriote, né dans la clandestinité sous l'Occupation. Les héros des premières bandes dessinées qui y sont publiées sont souvent des Résistants en butte à des méchants nazis.

Observons le logo de Vaillant : lettres rouges pétantes, légèrement penchées vers la droite et ombrées, longue barre gauche du "T", grand point rond sur le "i",  lettres qui vont en rapetissant et légère courbure générale (1). 

 



Voilà qui ressemble diablement au logo de Captivant :



Regardons maintenant de plus près la punchline de Vaillant :


"Le journal plus captivant". Un slogan qui sera décliné au fil des numéros de Vaillant, sous des formes visuelles différentes.

Pourrait-il s'agir d'une coïncidence ? La parenté graphique des deux logos et le choix de cet adjectif, "captivant", laisse plutôt penser à un clin d'oeil. Un clin d'oeil qui surprend, car Chaland et Cornillon (très tourné, lui, vers la bande dessinée américaine, certaines histoires de Captivant faisant songer à Wrightson), ne semblent pas trop avoir louché du côté de l'école Vaillant (à moins que Cornillon admire Poïvet ?)



Idéologiquement, si l'on ose dire, on n'associe pas le très politiquement incorrect tandem Chaland-Cornillon à Vaillant, publication proche du Parti Communiste Français. Esthétiquement non plus, d'ailleurs, surtout si l'on songe que Vaillant prendra le titre de Pif en 1969. Placid et Muzo ne semblent pas faire vraiment partie du panthéon de nos deux amis.

D'autant que le tandem ne se prive pas de prendre pour cible les communistes dans Captivant :


Ou encore :



Chaland a souvent raconté qu'il était fasciné par les recueils du Journal de Spirou qu'il découvrait, enfant, chez ses cousins et qu'il avait voulu en restituer l'esprit dans Captivant. Il semblerait que lui ou son compère Cornillon aient aussi eu en main des exemplaires de Vaillant. S'inspirer d'un logo "communiste" pour créer une fausse publication "anti-communiste" pastichant des bandes dessinées franco-belges bien-pensantes, voilà qui leur ressemble bien, au fond...

(1) Selon Marcel Birkan, auteur d'une très complète histoire de Vaillant parue dans Le Collectionneur de bandes dessinées (à partir du n° 50), ce logo pourrait être l'oeuvre du dessinateur Gire (Eugène Giroud).

2 commentaires:

  1. La référence m'a toujours semblé évidente, je n'imaginais pas qu'elle puisse prêter à débat.

    Et Pif apparaît dans une case du Retour du Major...

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  2. Merci, Roberto. Mais il me semble qu'il n'était pas fait mention de cette référence dans les nombreuses exégèses de l'oeuvre de Chaland. En effet, j'avais oublié "Le Retour du Major". On y aperçoit Pif et Arthur le Fantôme au milieu de dizaines d'autres héros de bande dessinée.

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