J'évoquais hier Charlie Mensuel, en disant que ce journal était mésestimé. Un signe ? Quasiment aucune mention des dix années passées à sa tête par Georges Wolinski, dans les innombrables nécrologies du dessinateur parues à sa mort, le 7 janvier dernier. Le regretté Georges, lui, ne mésestimait pas son enfant, bien au contraire : "Je fais Charlie Mensuel avec ce que j'estime être le meilleur au monde", écrivait-il impavidement dans l'édito du n°33 (et il avait sans doute raison). Il aura dirigé ce "journal qu'on lit sur un divan en croquant du chocolat" (existe-t-il meilleure définition de la bande dessinée ?) d'août 1970 à janvier 1981.
L'une des choses qui distingue cette décennie, ce sont les couvertures. Couvertures totalement muettes (l'anti-
Marianne, disons), agrandissement de cases purement graphiques, monochromes ou en bichromie le plus souvent. Pas un mot, pas un titre, pas une annonce. Fallait-il avoir confiance en la puissance du dessin pour lancer de tels objets dans les kiosques !
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(Crepax, n°47, décembre 1972) |
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(Munoz, n°106, novembre 1977) |
Le plus beau est qu'en l'absence de toute publicité, on avait aussi droit à une quatrième de couverture purement graphique, sur un papier légèrement bouffant. Ainsi celle de Tardi, reprenant une case de sa
Bascule à Charlot, où il est au sommet de son art :
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(Tardi, n°91, août 1976) |
Ou encore Munoz, qui en livra de somptueuses :
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(Munoz, n°94, novembre 1976) |
Joost Swarte, qui n'eut jamais droit à la Une du mensuel, publiera néanmoins lui-aussi une quatrième de couverture, tirée d'
Imago Moderna, où l'on aperçoit son "héros" à la tête en forme de note de musique, Jopo de Pojo :
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(Swarte, n°70, novembre 1974) |
Enfin, si, à sa manière, Swarte fit bien une fois la couverture de
Charlie. A la dernière case d'
Imago Moderna, en une mise en abyme en forme de clin d'oeil, on aperçoit dans un kiosque un exemplaire de
Charlie avec à la Une...
Fred Fallo, son personnage d'
Esclaves de la seringue !
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(La dernière case d'Imago Moderna, avec...) |
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(...la fausse Une de Charlie) |
Autre originalité de
Charlie Mensuel, le sommaire était lui-aussi illustré par un dessinateur. Swarte y eut droit à deux occasions :
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(Swarte, Charlie Mensuel n°63, avril 1974) |
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(Swarte, Charlie Mensuel n°82, novembre 1975, reprise en noir & blanc de sa toute première sérigraphie "Ochtendschemer" (l'aube), éditée en 1975, qui s'envole régulièrement à plus de 300 euros aux enchères aujourd'hui. A ne pas confondre avec sa réédition en offset de 1983, de format plus grand et de prix plus bas... ) |
Qui choisissait ces Unes, lesquelles amenaient tout lecteur à regarder chaque case du mensuel comme un chef-d'oeuvre virtuel ? Wolinski lui-même, en collaboration avec Blandine Jeanroy, la maquettiste. "Blandine était très douée. Je regardais les bédés, je mettais le doigt sur un dessin et je disais : ”Tu fais la couverture avec ça.” Elle agrandissait, elle cadrait, mettait les teintes qu'il fallait... C'était superbe ! Un petit tableau à chaque fois", a raconté Wolinski
dans un entretien-fleuve de
Neuvième Art (qui comprend également
un très bon article sur l'histoire du mensuel). Un entretien au cours duquel il avouera au passage que
Charlie Mensuel était totalement "pompé" sur le journal italien
Linus. Les couvertures de
Linus et de son cousin
Alterlinus sont d'ailleurs somptueuses.
Par leur mélange de jansénisme et d'érotisme, les Unes de
Charlie Mensuel auront beaucoup fait pour la beauté des kiosques des années 70.
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