Ligne claire, ligne sombre & autres aventures

lundi 14 décembre 2015

Swarte par la fenêre

Un conseil : lorsque vous lisez une bande dessinée de Joost Swarte, scrutez bien les fenêtres des immeubles. Il s'y passe toujours quelque chose: scène de ménage, partie de jambes en l'air (au sens propre, bien souvent...), suicides, chats pensifs...

Prenons ce dessin de l'album  Papagali :

(Swarte, Papagali)

Levez un peu les yeux et :



On y trouve aussi un autoportrait de Swarte en plein travail, période cheveux longs-moustache (ce dessin date de 1974):





Ce procédé culmine évidemment avec les grandes cases de scènes urbaines (mes préférées, je crois bien), qui furent l'une des marques de fabrique du Swarte seventies, comme dans cette célèbre couverture du numéro 17 de Tante Leny Presenteert (reprise pour le tome 1 de l'anthologie publiée en France par Artefact), où l'on aperçoit au passage le "trio intéressant" dans la vitrine du "restaurant" :





Ou encore dans cette case d'Esclaves de la seringue, parue dans L'Art moderne, où un "brother" semble s'essayer aux joies rémunératrices du proxénétisme :




Avec ces détails, Swarte pointe une certaine violence du monde, comme si se jouaient toujours de terribles drames intimes derrière les façades paisibles :


(Swarte, dessin pour Vrij Nederland, 1981, détail)


(Swarte, Le critique littéraire,  Vrij Nederland, 1981, détail)


Même si parfois, c'est plutôt la mélancolie féline d'un chat qui passe la tête par un soupirail:



Bien sûr, Joost Swarte n'est pas le seul à parsemer ses cases de détails "dans les coins" (c'est ce qui fait souvent le charme de la relecture de ses histoires). Dans Astérix ou Blueberry, l'action peut se développer au second plan (un "méchant" qui s'échappe, par exemple) ; Gotlib et Margerin peuvent ajouter des gags ici ou là. Mais chez Swarte, le procédé a quelque chose de particulier. Du fait même de la "ligne claire", qu'il a lui-même définie comme un dessin au contour noir à l'épaisseur régulière, premier et dernier plans sont traités avec le même trait, la même netteté. D'où la force de ces fenêtres vers lesquelles notre regard est attiré. "Vous devez toujours guider l'oeil du lecteur, d'abord sur la chose importante, puis sur les détails. C'est l'ensemble de tout cela qui finit par raconter une histoire", a expliqué Joost Swarte lors d'un passionnant entretien croisé avec Art Spiegelman, en 2014, au MoCCAS comics festival de New York (la video est sur Youtube).


Avec Swarte, ce n'est plus Fenêtre sur cour, mais fenêtre sur rue. Quoi d'étonnant, alors, si la fenêtre finit par devenir un véritable écran de cinéma ?


(Swarte, Humo, 1987)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire