Ligne claire, ligne sombre & autres aventures

mercredi 9 décembre 2015

Joost Swarte, Hergé et le "Tintin noir"

Il y a évidemment beaucoup à dire sur les relations entre Hergé et Joost Swarte (et nous aurons souvent l'occasion d'y revenir). Commençons par signaler que les deux hommes se sont rencontrés deux fois, si l'on en croit le dessinateur hollandais. Une photo "historique" en témoigne. Elle aurait été prise le 19 janvier 1977 et on reconnait derrière les deux hommes les fameuses variations Monet de Lichtenstein, qui avaient tant frappé Floc'h lors de sa visite au Maître. Et, si l'on regarde attentivement en bas à droite, on peut apercevoir, posé sur le bureau, le fameux fascicule "De Klare Lijn".


(Hergé et Joost Swarte, photo Piet Schreuders,  Furore n°6)

 La date de cette visite semble correspondre à la fameuse exposition Hergé à la Rotterdam Art Fondation, qui ouvrira ses portes le 5 février 1977. On sait que c'est à l'occasion de cette manifestation que Swarte réalisa quatre petits catalogues (15 X 21,5 cms), dont le fameux De Klare Lijn, acte de naissance de la "ligne claire" (même si Swarte lui-même rappelle dans un avertissement placé en tête de Hors-Série que l'expression signifie plutôt "tiré à la ligne", au cordeau. Certains géopolitologues du 9ème art ont même avancé une théorie séduisante, selon laquelle cette expression serait inspirée des lignes droites tirées par les digues protégeant les polders, en Hollande...)









(Page de titre de De Klare Lijn, dédicacée par Swarte, collection personnelle)

 (Pour la petite histoire, un maquettiste des petits albums consacrés à Yves Chaland -La Collection Chaland et Chaland explorateur- m'a avoué un jour qu'ils étaient entièrement "pompés" sur les quatre fascicules de Swarte : format, texture, couleur de la couverture, image carrée collée...)


Cette photo de Swarte et Hergé fut prise lors de la seconde rencontre entre les deux hommes. Le dessinateur hollandais était venu, accompagné de deux amis, pour interviewer Hergé pour le magazine hollandais Furore. L'entretien fit la Une du numéro 6 d'avril 1977 :


(Couverture de Furore n°6, avril 1977)


Et voici les deux premières pages de l'interview (on y aperçoit une seconde photo des deux hommes et la couverture de Kuifje in Rotterdam, fausse aventure de Tintin imaginée par Swarte) :

(Interview de Hergé par Swarte, Furore n°6, avril 1977)

La première visite de Joost Swarte au père de Tintin datait de 1976. Elle visait à préparer l'exposition de Rotterdam. Le dessinateur hollandais était resté quatre heures aux Studios, Hergé se montrant très disert sur son travail. A un moment, Bob de Moor était passé et lui et Hergé avaient commencé à chanter du Frank Sinatra, se souviendra Swarte.


L'influence de Hergé irrigue nombre de pages de L'Art Moderne, de Swarte. Les pantalons de golf de Jopo de Pojo, bien sûr. Et puis ce "Tintin noir" (l'expression est de Swarte), croisé au beau milieu de la dérive nocturne d'Imago Moderna (on y revient toujours...), qui semble joyeusement solder un demi-siècle de polémiques autour de Tintin au Congo (même si le débardeur fait plutôt songer à la période Tintin en Amérique).


(Le "Tintin noir" d'Imago Moderna)


Et puis, après tout, ce "Tintin noir" en rappelle un autre, dessiné par Hergé lui-même :


(Hergé, L'Oreille cassée)



Certaines vignettes d'Esclaves de la seringue ! sont même des "citations" directes d'Hergé. Ainsi de l'attitude de ce petit personnage colérique, qui rappelle furieusement le Gibbons du Lotus Bleu :


(Swarte, Esclaves de la seringue !)


(Hergé, Le Lotus Bleu)

Ou encore cet avion jaune, toujours dans la même histoire :

(Swarte, Esclaves de la seringue !)


(Hergé, Le Crabe aux pinces d'Or)


On trouve une autre allusion indirecte à Hergé dans Imago Moderna. On sait que Swarte a toujours admiré la proto-Ligne Claire et notamment George McManus. Il rend ici hommage à Alain Saint-Ogan, influence majeure d'Hergé (le Bruxellois ira d'ailleurs rendre visite au Français, en 1931). Jopo de Pojo, émoustillé par une entraîneuse de bar, a fait l'erreur de commander un (coûteux) Saint-Ogan 1934, dont la bouteille a la forme du pingouin Alfred. il finira par la boire seul, dans un nuage de mélancolie...


(Swarte, Imago Moderna)



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