Quand on demande à Joost Swarte ce qui l'a fait basculer de son style underground "vers la ligne claire" (pour reprendre le titre du célèbre album de Ted Benoit, qu'il a préfacé), il cite un nom : Marc Smeets. Il y fait référence dans Les Héritiers d'Hergé, de Bruno Lecigne. Et voilà ce qu'il déclarait en 1977 à Falatoff (n°38/39) : "Au début, j'étais influencé par Willem et Crumb. Mais après j'ai vu des dessins de Marc Smeets et j'ai trouvé ça fantastique. Et, bien sûr, ça m'a rappelé Hergé. J'ai relu toutes les histoires de Tintin et c'est... c'est.... vraiment fantastique !"
Mais qui est donc ce Marc Smeets, qui a "ramené" Swarte vers Hergé ? On pourrait dire que c'est le plus célèbre inconnu de la Ligne Claire. En France, on le connaît un tout petit peu grâce à un bimestriel confidentiel de petit format édité par Artefact, A4 Comix. Le numéro 2, sorti en 1977, lui est entièrement consacré. C'est en fait la reprise du n°15 de Tante Leny Presenteert. Je me souviens avoir ressenti un sentiment étrange à sa lecture, vers la fin des années 70.
(Marc Smeets, A4 Comix n°2, 1977) |
Sentiment étrange, car Marc Smeets n'est jamais parvenu à réaliser une "vraie" bande dessinée. Il juxtapose des dessins, des croquis, qui n'ont souvent rien à voir entre eux, mais qui finissent pourtant par raconter une vague histoire que le lecteur doit imaginer lui-même. Son trait est un mélange de Vandersteen (pour les nez pointus de ses personnages, notamment), d'Hergé (un peu des Soviets, beaucoup de la Licorne) et d'imagerie médiévale (Harold Foster ?).
Son dessin ne répond pas exactement aux canons de la Ligne Claire. Il y a un léger tremblé dans son trait et il lui arrive d'utiliser des hachures. Voilà ce que cela donne :
(Marc Smeets, A4 Comix n°2, 1977) |
On ne sait pas grand chose de Marc Smeets (1942-1999). Hollandais, il a fait des études de dessin, puis a collaboré à Aloha et Tante Leny Presenteert (dont il a réalisé la couverture du n°13). "La première bande dessinée que j'ai lue a été un Tintin, en français : Lé séccrret dé La Licorneuuu", a-t-il raconté à Falatoff, en 1977. Voilà ce qu'il y disait de son travail : "Je voudrais bien faire une histoire avec un début, une fin, tout ce qu'il faut... Mais, je commence et quelque chose cloche, le dessin ne me plaît pas, ou je me dis que l'histoire n'est pas bonne."
Son but, dit-il encore, était d'"exploiter Hergé" pour le tirer vers un univers underground. Un projet qui définit aussi assez bien le Swarte du milieu des années 70.
A nous d'imaginer, donc, une histoire autour de ce dessin (qu'a-t-il bien pu arriver à ce Flupke déguenillé ?) :
(Marc Smeets, A4 Comix n°2, 1977) |
Marc Smeets fait partie de ces "inconnus" qui ont influencé plusieurs dessinateurs célèbres de manière souterraine. Ted Benoit le cite dans Les Héritiers d'Hergé et surtout dans Les Nouveaux petits-miquets (Le Citron Hallucinogène), d'Yves Frémion : "Smeets, c'est l'inconscient d'Hergé ! J'adorais ça. Et ce côté flamand en plus. On avait l'impression que Smeets parodiait les mecs du Studio Hergé, les nègres de Hergé. Il me fait penser à Brueghel, aussi..."
Chris Ware trouve son travail "fascinant". Et Swarte, on l'a vu, lui rend souvent hommage.
Chris Ware trouve son travail "fascinant". Et Swarte, on l'a vu, lui rend souvent hommage.
Depuis quelques années, une page Facebook est consacrée à Marc Smeets. C'est une mine d'informations. Allez vous y promener. On y trouve des dessins (y compris ceux de A4 Comix, scannés en haute définition), des carnets de croquis, souvent inédits, des photographies, etc. On y annonce aussi la parution imminente de deux ouvrages posthumes de Marc Smeets aux éditions Scratch Books, dont un bien nommé The art of the unfinished...
Pour terminer, c'est à cette page Facebook que j'emprunte cette photographie de Marc Smeets.
(Marc Smeets, années 60) |
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