Avec Le Miroir, Comix Factory est sans doute l'un des dessins les plus célèbres (et les plus fascinants) de Joost Swarte. Il était destiné à la couverture du numéro 2 de Raw, la revue de bandes dessinées new yorkaise avant-gardiste d'Art Spiegelman et Françoise Mouly. paru en 1980.
(Raw n°2, 1980) |
"Un jour de 1978, Art Spiegelman, de passage à Amsterdam avec son épouse Françoise Mouly, m'a téléphoné et a proposé de me rencontrer pour évoquer le lancement d'un nouveau magazine, Raw, a raconté Joost Swarte au Comics Journal. Nous avions rendez-vous dans un café et lorsque je suis arrivé, Art avait placé sur la table deux petites bouteilles d'encre, une pour lui et une pour moi. A l'époque, j'avais fait un autoportrait où je buvais une bouteille d'encre et Art venait de publier Breakdowns, dont la couverture le montrait en train de boire de l'encre. C'était une bonne entrée en matière..."
(Autoportrait-carte de visite de Joost Swarte, 1974) |
(Couverture de Breakdowns, Art Spiegelman, 1977) |
(Pour la petite histoire, c'est lors de ce même voyage qu'Art Spiegelman, présenté par Jacques Tardi à Jean-Paul Mougin, rédacteur en chef d'(A SUIVRE), qui démarrait tout juste, a proposé d'y publier une histoire intitulée Maus. Il en a même rédigé le premier synopsis pour l'occasion, mais cette pré-publication n'a finalement pas vu le jour. On trouvera des détails sur ce voyage et mille autres choses dans la remarquable Raw History, publiée par Bill Kartalopoulos dans Indy).
Raw commande donc une couverture à Swarte. Ce sera la Comix Factory, cette "fabrique à bandes dessinées", où, à la manière du cinéma, on voit des décorateurs, un auteur, un machiniste, un producteur et quelques comédiens -tous clones de Jopo de Pojo- s'affairer dans un studio.
(Comix Factory, tel que paru dans El Vibora n°24, 1981) |
"J'avais voulu surprendre le public en la laissant volontairement en noir et blanc, comme s'il s'agissait de la Une d'un journal ancien, racontera Swarte. J'ai mis toute mon énergie à créer cette mosaïque colorée dans la marge gauche. Mais Art et Françoise pensaient qu'elle serait mieux en couleurs et c'est Françoise elle-même qui les a faites, à l'aide de films transparents, avec les quatre couleurs de base de la quadrichromie -magenta, cyan, jaune et noir. Un travail de fou !"
(Film couleur magenta de Françoise Mouly pour Comix Factory. Document Indy/Kartalopoulos) |
(Film couleur cyan de Françoise Mouly pour Comix Factory. Document Indy/Kartalopoulos) |
On connait le résultat, somptueux...
On pourrait passer des heures à commenter cette "fabrique à bandes dessinées". Notons que Swarte y rend hommage à quelques grands anciens, à travers les strips accrochés au plafond. On reconnait Krazy Kat (George Herriman), Sappo (Segar, le père Popeye), deux références classiques, et, plus pointu, Gasoline Alley (Frank King) et The Rebel (Clare Briggs).
Nombre de détails nous laissent penser que des événements sont imminents, dans ce studio. L'avenir du scénariste ne tient qu'à un fil ; l'équilibre du machiniste aussi ; et, qui sait, peut-être Jopo de Pojo -enfin, un Jopo de Pojo...- est-il sur le point de "conclure" avec une jeune femme (comédienne ? scripte ? secrétaire ?)
(Swarte, Comix Factory, détails) |
Avis aux collectionneurs, l''Atelier Swarte, à Haarlem, a réalisé une magnifique sérigraphie couleurs à partir de la Comix Factory, en 1988. Grand format (100 x 70 centimètres), tirée à 250 exemplaires, signée, épuisée depuis belle lurette, on ne la voit que très rarement passer en salle des ventes ou sur le net, à 300 euros et plus. (Une version offset, plus petite (50 x 70), également signée, se trouve assez facilement, entre 40 et 60 euros.) Pour l'occasion, les couleurs ont été sensiblement modifiées.
(Swarte, sérigraphie 100 x 70 cms, collection personnelle) |
On comprend la fascination que ce dessin a pu exercer sur nombre d'auteurs de bandes dessinées. On touche là directement au secret de leur art. "Cette couverture a été une révélation, j'ai passé des heures, des jours, des semaines entières à l'étudier", a avoué Chris Ware à Indy. La couverture de Lonely Comics & Stories, son premier album, auto-publié, en 1992, rend d'ailleurs un hommage discret -pour ne pas dire subliminal...- au dessin de Swarte. Chris Ware a imaginé ce qui se passait à l'extérieur de la Comix Factory. En regardant bien, en effet, on reconnait la fenêtre du studio, à moitié cachée par la porte. Mais il faut vraiment le savoir...
(Chris Ware, 1992) |
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